Discours à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de François Mitterrand
Discours de M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre, à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de François Mitterrand (Jarnac, 8 janvier 2017)
Seul le prononcé fait foi
Messieurs les ministres,
Messieurs les parlementaires,
Monsieur le maire,
Mesdames, Messieurs,
C’est avec une profonde émotion et le cœur plein de reconnaissance pour l’héritage qu’il nous a légué que j’évoque à mon tour, cette année, la mémoire de François MITTERRAND, en ce lieu et dans cette circonstance.
Il y a au sein de notre assemblée d’aujourd’hui, plusieurs membres de la famille de François MITTERRAND : son fils Gilbert, sa fille Mazarine et son neveu Frédéric que je salue avec amitié. D’autres parmi vous comptaient au nombre de ses amis fidèles. D’autres encore ont été ses ministres ou ses proches collaborateurs. Vous avez tous été des témoins directs de sa vie personnelle comme de sa vie publique. Vous avez été des acteurs des combats qu’il a menés et dans lesquels vous l’avez suivi.
Il n’est donc rien que je puisse vous apprendre de cet homme, de sa personnalité, de ce que fut sa vie, ni de l’œuvre qu’il a accomplie. J’ai rencontré pour ma part François MITTERRAND pour la première fois, à l’âge de 10 ans, en 1973, à l’issue d’une réunion publique dont il était le principal orateur et où mon père, militant socialiste, m’avait permis de l’accompagner.
Ce que je peux aujourd’hui tenter d’exprimer, c’est ce que François MITTERRAND a représenté et représente encore pour une génération, la mienne, qui n’avait pas tout à fait 18 ans le 10 mai 1981 et dont la formation politique s’est faite alors qu’il exerçait le pouvoir. Et je sais que ce qu’il a représenté pour nos contemporains a enjambé les générations qui ont suivi et pour lesquelles il demeure une figure, un symbole, un précurseur qui, aujourd’hui encore, montre le chemin.
Le hasard veut que deux des premiers ministres socialistes de ce quinquennat n’aient ni l’un, ni l’autre eu la possibilité de voter pour François MITTERRAND en mai 1981. Manuel VALLS parce qu’il n’avait pas encore la nationalité française ; et moi-même parce que j’étais trop jeune, de quelques semaines, pour en avoir le droit.
A défaut de pouvoir voter pour lui, j’ai désiré avec ardeur sa victoire. J’ai éprouvé, comme tant d’autres ce printemps-là, le sentiment de vivre un moment historique. J’ai admiré cet homme, qui portait la gauche au pouvoir pour la première fois sous la Vème République et qui me semblait reprendre le fil d’une histoire dont les premiers chapitres, trop brefs, avaient été écrits en 1936, à la Libération et durant le gouvernement de Pierre MENDES France, qui n’avait duré que six mois, six mois qui suffirent à laisser une marque, un signe, une exigence qui continuent à faire référence plus de 60 ans plus tard. Comme pour beaucoup d’entre vous, ma mémoire de gauche était pour partie familiale, pour partie livresque et naturellement sélective.
Evoquer la figure de François MITTERRAND, près de quarante ans après cette victoire historique, vingt-et-un et ans après sa disparition, c’est donc accepter de succomber un instant à la nostalgie. Non pas seulement la nostalgie d’une victoire politique éclatante qui a coïncidé avec notre jeunesse. Non pas la nostalgie d’un temps où il aurait été plus facile, plus simple, plus confortable d’être de gauche. Car François MITTERRAND et ceux qui l’ont accompagné au cours de deux septennats connurent leur lot d’épreuves, souvent dramatiques et parfois cruelles, comme vous le savez tous.
Mais je pense surtout à cette forme particulière de nostalgie qui naît du sentiment qu’il a incarné un certain moment de l’histoire de notre pays. Mais nous aurions grand tort de céder à la nostalgie car ce moment et ce qu’il signifie n’ont pas disparu avec lui.
Ici, à Jarnac, dans les lieux où il a passé ses premières années, il est difficile de ne pas se représenter l’attachement qu’éprouvait François MITTERRAND pour cette ville, pour cette province si belle, pour ces paysages si doux que son enfance lui avait appris à aimer. Quelques mois avant sa mort, il écrivait encore à propos de Jarnac et de la Charente : « Je crois que c’est dans cet espace que sont nés et se développent tous les parfums, toutes les saveurs, qui ont fait de moi ce que je suis là. » Est-ce que je me trompe en pensant que cet enracinement, la connaissance intime qu’il avait de cette province, lui ont permis, toute sa vie durant, de se trouver de plein pied avec une part très ancienne de l’histoire de notre pays ? Une France des champs et des bourgs, des églises romanes, demeurées presque à l’identique depuis le Moyen-Age et que la révolution industrielle a laissée pratiquement intacte jusqu’aux années 1950. La France rêvée de PEGUY que sa jeunesse provinciale a permis à François MITTERRAND d’entrevoir et qui aura donné à la compréhension qu’il avait de ce pays une épaisseur particulière. En lisant tous ses écrits, les pages admirables qu’il nous a léguées, j’ai été frappé par la place qu’y tiennent les descriptions de paysages, les récits de promenades, le portrait des Français de tous les milieux qu’il rencontre au hasard des routes, des hôtels de ville et des auberges. Il avait de notre pays une connaissance à fois historique et sensible qui lui permettait tout à la fois de le comprendre et de l’incarner.
L’histoire, la grande histoire de l’Europe, il l’avait lui-même vécue et y avait pris une part active. Parce qu’il avait connu la guerre et la résistance, il avait, sans doute plus que nous, conscience de ce que l’histoire peut être tragique. Chacune de ses grandes décisions de politique étrangère, comme nous l’a rappelé Hubert VEDRINE, peut être mesurée à cette aune : le refus des SS-20, le secours apporté à l’OLP fuyant Beyrouth, le discours de la Knesset, les garanties obtenues pour l’unification allemande, sans oublier, bien entendu, toute sa politique européenne.
Mais l’expérience de la guerre n’avait pas moins d’influence sur certaines de ses convictions de politique intérieure. Pour nous, la liberté, la paix, la prospérité, sont des données élémentaires de la vie sociale. Pour lui, elles demeuraient des biens précieux, qu’il avait fallu conquérir de haute lutte et qui devaient être protégés comme des trésors pour que le pays échappe à la servitude, à la violence et la faim.
Il nous l’a dit une dernière fois, en des termes qui demeurent saisissants, lors de l’inauguration de la maison des enfants d’Izieu, en mai 1994 : « La République, rappelait-il ce jour-là n’est pas composée d’hommes libres, elle est composée d’hommes qui veulent l’être. Elle n’est pas composée d’hommes égaux mais d’hommes qui aspirent à l’égalité. Elle n’est pas composée d’hommes fraternels mais d’hommes qui désirent s’entendre quand même pour créer un monde plus solidaire. C’est pourquoi elle est, elle reste et restera toujours inachevée comme toute oeuvre qui aspire à la durée ». C’est ce mélange de réalisme et de volonté qui fait sans doute de lui l’un des derniers grands républicains du XIXème siècle, à la façon d’un HUGO ou d’un CLEMENCEAU, l’un de ceux qui songent toujours à se prémunir contre la possibilité d’un coup d’Etat. C’est aussi, sans doute, ce qui explique l’importance toute spéciale qu’il a toujours portée à la question des institutions républicaines.
Bien sûr, à côté de ces traits qui évoquent une histoire parfois tragique, il existe une autre image de François MITTERRAND plus lumineuse, faite de culture, de séduction, de détachement, de subtilité dans la gestion des hommes et de leurs talents. Elle n’est pas incompatible avec la première, même si lui-même a contesté le qualificatif de « florentin » forgé à son sujet par François MAURIAC dans son « Bloc-Notes » – tout en rappelant ingénument qu’il avait ébauché un livre sur la Florence de la seconde moitié du XVème siècle.
Il ne lui a sans doute pas déplu qu’on lui prête une certaine habileté car l’habileté n’est pas toujours en politique un défaut, ni a fortiori un handicap. Pour ma part, j’ai aussi plaisir à lire cet autre commentaire de MAURIAC, écrit à propos de l’affaire de l’Observatoire : « MITTERRAND aura payé cher d’avoir été moins fort que ses ennemis eux-mêmes n’avaient crus. Et moi je lui sais gré de sa faiblesse : elle témoigne qu’il appartient à une autre espèce que ceux qui l’ont fait trébucher. »
Ce qui est certain, me semble-t-il, c’est que François MITTERRAND était le contraire d’un homme décidé à plaire à tout prix. Tout au long de sa vie politique, ses choix ont attiré sur sa personne une haine dont on n’a plus idée aujourd’hui. Georges DAYAN racontait que, lors de la campagne pour les élections de 1956, dans le Morvan, la femme de Pierre POUJADE appelait publiquement à le pendre et à « l’écraser comme une limace. » Et je conserve moi-même un souvenir précis de la violence des propos que lui réservaient, pendant son premier septennat, les éditorialistes d’une certaine presse et les orateurs de l’opposition, contestant ouvertement sa légitimité à exercer le pouvoir.
En outre, jaloux de son autonomie, il n’était pas davantage désireux de complaire aux puissants du moment, fût-ce par tactique ou pour se ménager une position. Sa première rencontre avec le général DE GAULLE, à Alger, en décembre 1943, constitue ainsi un exemple rare d’amour-propre opposé au chef de la France Libre, qui n’avait guère l’habitude qu’on lui résiste.
Aujourd’hui il me semble que la figure de François MITTERRAND doit nous offrir davantage que le regret de ses dons et qualités personnels, ou que la nostalgie d’une époque révolue.
Son exemple nous montre que la gauche peut trouver la confiance des Français pour peu qu’elle ait la conscience du moment historique où elle se trouve.
Bien sûr, lui-même n’était ni infaillible, ni omniscient. S’il a peut-être, en 1958, surestimé le caractère autoritaire du régime que le général de GAULLE instaurait, dans un contexte historique lui aussi très particulier, il a parfaitement analysé les nouveaux équilibres mis en place par la Vème République et il en a conçu la stratégie qui amènerait finalement la gauche au pouvoir en 1981. Lui qui avait écrit le « Coup d’Etat permanent », a senti que l’opposition aux institutions créées par de GAULLE ne suffirait pas à créer par elle-même la dynamique nécessaire pour le remplacer. Il a vu que la gauche était « sociologiquement majoritaire », comme on le disait à l’époque. Il a compris que c’était la faiblesse de la gauche non-communiste, dans le contexte de la guerre froide, qui constituait l’obstacle majeur à l’exercice du pouvoir et il a voulu mettre fin à cette situation dont MALRAUX pouvait dire : « Entre les communistes et nous, il n’y a rien – et il faut que cela dure le plus longtemps possible. » Il a enfin tiré les conséquences des élections présidentielles de 1969 et de l’échec de Gaston DEFERRE pour mettre en place les deux éléments qui lui permettrait de conquérir le pouvoir : la prise en main du parti socialiste à Epinay et la stratégie d’union de la gauche.
Son exemple nous montre aussi que la gauche au pouvoir peut faire preuve de lucidité et de pragmatisme, sans pour autant se renier. Une fois devenu président de la République, François MITTERRAND n’a pas remis en cause les institutions issues de la constitution de 1958. A deux reprises, il a démontré la possibilité d’une cohabitation respectueuse des intérêts supérieurs de l’Etat. Il n’a pas fait usage de son droit de dissolution de l’Assemblée nationale, sinon pour assurer une cohérence entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, en 1981 et 1988. Et il aurait sans doute tiré personnellement les conséquences d’un échec du referendum sur le traité de Maastricht.
Mais tout en assurant de façon irréprochable la continuité des institutions, il les a aussi corrigées, comme il s’y était engagé, là où elles péchaient par leur caractère excessivement jacobin ou autoritaire : ce furent les grandes lois sur la décentralisation et la suppression des tribunaux d’exception, l’abolition de la peine de mort. J’ajoute qu’il n’a jamais fait poursuivre quiconque sur le chef d’outrage au chef de l’Etat.
François MITTERRAND a su faire preuve de la même lucidité sur le terrain économique, en mars 1983, en écartant l’idée d’une sortie du franc du système monétaire européen. Certains de ceux qui furent partisans de cette option, qui eut entraîné une forte dévaluation, persistent à voir dans cet épisode une occasion manquée de muscler notre appareil productif, à coups d’investissements financés par le déficit public. Mon impression personnelle reste que cette aventure se serait terminée, si François MITTERRAND avait fait un choix différent, de façon humiliante pour la France. Car avec une forte inflation, et en économie ouverte, on sait comment les dévaluations finissent.
Je ne peux me défendre de penser que les mêmes illusions peuvent demeurer, à 35 ans de distance, lorsque sont interprétées comme un reniement, la recherche de la compétitivité et la gestion rigoureuse des comptes publics. Comme si il n’y avait pas d’autres marqueurs possibles pour une politique économique de gauche, à travers notamment la recherche constante d’une fiscalité juste, d’une formation permettant à chacun de trouver son chemin vers l’épanouissement et vers l’emploi, et d’une protection sociale garantissant le maintien dans la République, et par conséquent dans l’espérance, des plus vulnérables des Français. Comme si les gouvernements de François MITTERRAND après 1983, tout en menant de façon efficace une politique de désinflation compétitive, n’avaient pas également mis en place l’impôt sur la fortune, le revenu minimum d’insertion et le plan université 2000.
Enfin la politique européenne qu’il a menée me semble avoir encore valeur de modèle pour les gouvernements de gauche. François MITTERRAND lui-même a vu le contexte européen changer radicalement, si bien que l’on peut dire qu’il a à la fois porté à son terme les possibilités de l’Europe du marché commun – avec l’Acte unique, puis le traité de Maastricht -, et jeté les fondations de l’Europe à 27 ou 28 membres, après l’effondrement du système soviétique et l’émancipation des anciennes démocraties populaires. « L’Europe, selon l’une de ses formules les plus célèbres, comme l’on rentre chez soi, est rentrée dans son histoire et dans sa géographie ». Bien sûr, la rencontre entre un projet virtuellement fédéral et l’élargissement de l’Union à des pays dont le niveau de développement économique et l’expérience politique était aussi différents des nôtres ne pouvait qu’engendrer des tensions. Nous le voyons aujourd’hui et François MITTERRAND avait sur ce sujet une grande lucidité.
Mais il n’était pas moins lucide sur le fait que la construction européenne constituait pour la France la seule voie lui permettant d’exister, de préserver ses intérêts, sa culture et ses valeurs, dans un monde dominé de façon croissante par l’Amérique et par l’Asie. Comment ne pas voir, par-delà la crise de légitimité aigüe que connaissent les institutions européennes, que c’est encore dans le cadre européen, en partenariat avec les autres pays de l’union, qu’il nous faudra demain protéger nos frontières, assurer notre sécurité, défendre notre modèle social, concevoir nos politiques d’investissement et de recherche. Et la France doit conserver au sein de l’Union européenne la capacité de conviction et d’entraînement de ses partenaires, celle qui guide le Président HOLLANDE, celle qui était la sienne lorsque François MITTERRAND était Président de la République.
CHAMFORT comptait parmi les auteurs qu’il relisait le plus volontiers. Sans doute pensait-il avec lui que « l’ambition prend aux petites âmes plus facilement qu’aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais. » L’œuvre que François MITTERRAND nous a laissée, le message qui demeure le sien et dont chacun peut encore faire son profit, montre suffisamment que sa seule ambition aura toujours été de rassembler la gauche pour mieux servir la France.
François MITTERRAND, c’était la fidélité. La fidélité à ses amis et d’abord aux amis qu’il s’était faits au cours des jours sombres de sa vie, en captivité ou dans la résistance, tel votre père Jean VEDRINE, cher Hubert, qu’il salue encore dans ses « Mémoires interrompus » et auquel le liait une amitié fraternelle. La fidélité à l’égard de ses électeurs du Morvan, comme à l’égard des habitants des Charentes et des Landes, comme à l’égard de tous ces Français anonymes croisés au hasard de ses voyages sur les routes de France. A eux tous, il n’a jamais cessé de témoigner son intérêt, son affection et son estime ; à chaque fois qu’il l’a pu, il les a accompagnés dans les bons moments, comme dans les épreuves de la vie. La même fidélité l’attachait aussi aux idéaux de la Gauche, que les Français, en l’élisant, lui avaient confié la tâche de défendre.
François MITTERRAND, c’était la volonté de faire en sorte que la gauche se rassemble. D’abord parce qu’il avait la conviction que le clivage gauche-droite conservait dans la société française toute sa force, toute sa pertinence et il avait raison. « Le centre n’est, ni de gauche, ni de gauche » disait-il drôlement. Il admettait que les partis de gauche puissent évoluer, s’adapter aux circonstances, pour continuer à changer la société, mais non pas au point de théoriser « le ni droite, ni gauche » qu’il considérait comme un ailleurs improbable, à moins qu’il ne fut la manifestation d’un opportunisme cynique ou d’une confondante immaturité politique, ignorante des mouvements profonds de l’histoire. En outre, s’il concevait naturellement que des traditions et des courants distincts pussent s’unir à gauche, il savait que leur rassemblement était la condition première de tout succès électoral. C’est la stratégie d’union de la gauche qui avait assuré sa victoire en 1981, ce qui ne l’empêchait nullement de savoir que l’union était un combat.
François MITTERRAND, c’était encore le goût de la langue française et de la littérature. C’était un talent littéraire qui le faisait exceller dans presque tous les genres : la chronique, l’essai, la lettre, sans oublier ses discours dont certains sont de véritables poèmes en prose. Mais il savait mieux que personne qu’il ne suffit pas, en politique, de promettre, ni de dire. Encore faut-il tenir sa parole, car la politique ne pouvait se réduire à ses yeux à un exercice de séduction pure, fait de couvertures de magazine et de discours sans projet. Aussi veillait-il à ce que la mise en œuvre des « 110 propositions » après 1981, de la « Lettre à tous les Français » après 1988, fasse l’objet d’un décompte scrupuleux.
François MITTERRAND, c’était avant tout un rapport tellurique avec la France, qu’il connaissait et qu’il aimait dans toute sa diversité, dans toute la profondeur de son histoire, dans toute l’étendue de ses aspirations.
Tout ce qui l’engageait, relevait de la profondeur des choses, et sans doute avait-il pour cela la volonté farouche de laisser une trace au service de son pays. Comme s’il était demeuré jusqu’au bout l’enfant qu’imaginait MAURIAC, « souffrant jusqu’à serrer les poings du désir de dominer la vie ».
François Mitterrand pensait qu’on ne peut rien contre la volonté d’un homme. Il savait aussi que nul tyran ne peut jamais rien contre l’irrépressible aspiration d’un peuple à la liberté et à l’espérance. Il savait la dureté du combat politique, la part de cynisme qu’il peut induire, les trahisons qu’il peut susciter. Et si il jugeait sévèrement ceux qui se pensaient indispensables, à défaut souvent avoir jamais été utiles, tout en lui semblait considérer que seul le temps long de l’histoire permet de façonner les grands destins : le temps des épreuves et de l’enracinement, celui de la reconnaissance d’un territoire et d’un pays.
Ce temps long de l’histoire est celui de Fernand Braudel, le temps qui permet face à d’amples mutations de saisir la singularité du moment précis où l’on se trouve. Et de comprendre ainsi la nécessité, face à l’immensité des périls et des défis de l’action collective, du rassemblement des forces et des êtres qui ont en partage la foi dans les progrès de l’humanité. C’est finalement le principal message qu’il nous lègue, celui de la conscience profonde des fils de l’histoire, qui ne se coupent jamais.